Quelle est la couleur de la perte d'un proche ? Jordan Crane répond avec une grande sensibilité et une mise en page peu commune, en choisissant le vert pâle, dans son plus ambitieux projet à ce jour.Deux destins croisés, deux scénarios présentent les drames forts vécus par deux couples. L'un devant apprendre à vivre avec la perte de leur premier bébé ; l'autre avec la déchirure brutale liée à l'accident mortel d'un des êtres aimés, fauché par une voiture. Dans les deux cas, un gouffre sans fond s'ouvrant sous les pieds des protagonistes, devant user de stratagèmes mentaux improbables et puissants pour garder un semblant de tissu de réalité autour d'eux. Parce que continuer à vivre après un drame de cette nature est loin d'être évident. Parce que rien ni personne ne nous l'apprend, notre cerveau imagine un univers mouvant, fait de rengaines, de scénarios possibles, et se bloque au final sur une fin nous convenant mieux, afin de pouvoir peut-être passer à autre chose. Jordan Crane débute son récit de manière assez casse-gueule, en nous immergeant dans le quotidien d'un des couples. Et on a un peu de mal à comprendre le pourquoi du comment. C'est en insistant et en avançant dans la lecture, enchaînant au passage et de manière assez abrupte sur la vie du deuxième couple, que l'on comprend combien ces quotidiens représentent pour l'auteur l'aspect le plus précis, le plus réel de la vie, et combien ceux-là restent gravés et définissent les trésors que l'on chérit une fois le rideau tombé. De fait, les personnages principaux nous sont d'abord présentés très jeunes, lorsqu'ils sont ensemble. Puis l'un ou l'autre des survivants (cela fluctue au cours du récit) murit et illustre le temps qui a passé. Graphiquement, l'auteur choisit deux couleurs : le vert pâle et le foncé, afin de nous emmener dans son voyage « analytique », diffusant une lumière à la fois douce et onirique dans les scènes contées. Celles-ci effacent les frontières entre réalité et pensées, rêves et souvenirs, vécu et phantasme, participant à l'attrait du récit. Bien que le sujet et le traitement graphique soient de qualité, Il faut cependant une certaine motivation au lecteur afin de ne pas se perdre en cours de route ou la quitter. Car les portes ouvertes par Jordan Crane sont nombreuses et déversent des flots sinueux aiguillant nos sens. Après le superbe L'Ombre de la nuit, un recueil de courts récits publié chez le même éditeur en 2018 (avec, déjà, un accident de voiture en couverture), l'auteur, qui a mis 20 ans pour concrétiser ce projet, confirme qu’il est l’un des auteurs les plus doués de sa génération, en nous offrant un roman graphique fort, émouvant, mais exigeant – car aux expérimentations graphiques et scénaristiques étonnantes – qui fera date, cela-dit.
Avant Trashed, John Derf Backderf avait écrit l'Année des ordures, une version plus courte, trash et inédite de son expérience derrière la benne. Un ajout bien fun à la bibliographie déjà fourni de l’auteur américain engagé socialement.John Derf Backderf avait 19 ans lorsqu'il a réellement travaillé comme éboueur, l'été, deux ans d'affilé, alors qu'il commençait tout juste à publier ses premiers strips dans des journaux. C'est un peu plus tard, en 2001, après avoir envoyé un premier épisode à l'éditeur indépendant Slave Labor Comics, que ce dernier lui demande d'autres pages, aboutissant à un 48 pages ne menant à rien. Enfin si : une nomination aux Eisner Awards. Puis il se lance dans d'autres récits longs, dont Punk Rock and Trailer Parks (2008) ou Mon ami Dahmer (2013). Et il revient en 2015 sur ces souvenirs, leur ajoutant d'autres épisodes, un aspect fictionnel incluant de nouveaux personnages, pour aboutir aux 240 pages de Trashed. Son style graphique actuel, plus rond et épuré, a évolué depuis. Mais il était alors plus fanzine, encore plus caricatural. Il s’agit du même dessin exagéré de jeune adulte que le recueil de strips d’époque True Stories publié en 2019 chez Çà & Là. Derf Backderf va ici à l'essentiel en nous reportant avec beaucoup d’acuité et de sincérité des faits réels, où l'humour déborde, comme les asticots des sacs poubelles, n'hésitant pas user d'autocritique et de moquerie, assez proche en cela du travail de Peter Bagge. On se marre à gorge déployée, et cela fait du bien. Les éditions Çà & Là nous gâtent en poursuivant l’édition exhaustive d'un auteur sympathique et talentueux, décrivant l'Amérique des arrières cours, le tout dans une édition à jaquette papier kraft du meilleur effet. C'est beurk, mais c'est bon. Prix « poubelle d’humour » 2021 !
Elise mène une vie ordonnée, mais une rencontre va bouleverser sa vie et ses sentiments vont prendre le dessus. Un récit touchant, intime, sur la sécurité et l'insécurité de l'amour.Anneli Furmark est l'une des voix les plus importantes de la bande dessinée suédoise. Nous l'avions notamment découvert avec ses titres Au plus près ou encore Hiver rouge. Elle abordait déjà la question de l'homosexualité dans Au plus près mais entre deux jeunes hommes. Cette fois-ci, elle s'intéresse à cet amour entre deux femmes cinquantenaires, qui n'ont pas du tout la même approche de ces sentiments. Elles ont chacune déjà construit leur vie, sont en couple toutes les deux, sont heureuses. Pourtant, la rencontre entre Elise et Dagmar va bouleverser ce quotidien, leur rapport aux sentiments amoureux. Cet amour passionnel, elles vont le vivre plutôt à distance, profitant pleinement des quelques instants qu'elles pourront partager ensemble. Elise va découvrir l'amour auprès d'une femme, après n'avoir connu que l'amour avec un homme. Tiraillées dans leurs sentiments, la peur de l'inconnu, l'envie de tout quitter pour retrouver l'être aimé et en même temps la tétanie de voir un quotidien basculer, elles vont vivre des montagnes russes émotionnelles. Car la passion renforce les moments de joie, mais accentue également les moments de peine et de doutes. Anneli Furmark explore ce qu'implique de quitter un cocon sécuritaire lorsqu'on a la cinquantaine passée, pour explorer d'autres horizons, en écoutant son cœur. Avec délicatesse, et une certaine pudeur, nous découvrons cette histoire d'amour passionnelle touchante, renforcée par un dessin intimiste.
Un brûlot dénonciateur de la répression des années 70, qui reste malheureusement tout à fait d’actualité vu le contexte politique et social conflictuel actuel aux Etats-Unis. Une œuvre témoignage forte.Derf Backderf, auteur promu depuis déjà 7 ans par les éditions Ça et là, est un artiste féru de culture alternative. Etudiant lui-même dans les années 70 – il a d’ailleurs évoqué cette période dans Mon ami Dahmer – il a vécu la scène rock et skate des années 70-80. Son désir de témoigner de cultures indépendantes et de milieux alternatifs est tout à fait significatif. Avec ce sujet particulièrement dramatique, il signe certainement son œuvre la plus sombre, bien que True Stories, son précédent ouvrage, ait déjà donné un aperçu sans fard de sa vision désenchantée de l’Amérique. S’aidant de document d’archives et de témoignages directs, auprès des familles endeuillées et d’amis, il parvient à retracer avec une grande justesse de ton les évènements de ces journées. Ceux-ci s’enchaînent de manière si violente et avec si peu de compréhension de la part des autorités éducatives, politiques et de sécurité, qu’on peut être surpris. Il faut cependant la replacer dans le contexte de cette époque des Etats-Unis : la présidence Nixon n’est pas connue pour avoir été la plus respectueuse des droits. Ce qui intrigue alors davantage est certainement le triste parallèle que l’on peut opposer entre ces évènements vieux de 50 ans et ceux qui secouent le pays ces dernières années, et plus particulièrement la venue de la garde nationale suite aux émeutes en lien avec la mort tragique de George Floyd le 7 mai 2020 à Minneapolis. Derf Backderf a cette faculté de sonder avec justesse l’âme humaine tout en faisant preuve d’une grande rigueur documentaire. Il réussit donc, à l’aide de son dessin plutôt agréable, même si typiquement issu de la culture fanzine, à délivrer un message sérieux, tout en nous rapprochant au plus près des préoccupations et sentiments des protagonistes, que ce soit les étudiants ou les gardes, meurtriers « malgré eux ». Tout est question ici de peur et de méconnaissance de l’autre, que certains bureaucrates conservateurs et populistes ont su utiliser pour diviser encore plus les générations en présence. Il faut savoir que tout n’a été que mensonge dans cette affaire, et qu’aucun tireur ni donneur d’ordre n’a été directement condamné, même plusieurs années après. La guerre du Vietnam est terminée depuis longtemps, mais si les étudiants ne se font plus tirer dessus par la garde nationale, les armes restent encore un des problèmes majeurs à régler dans ce pays. Kent State nous rappelle la dangerosité de ses dérives.
Un écrivain se lance dans une tournée de dédicaces… sans succès. Il devient progressivement suspect n°1 d’une série de meurtres. Un subtil roman graphique aux accents de thriller psychologique kafkaïen.
Sam, un jeune adulte dépressif, est à la recherche d'un sens à donner à son existence. Il rencontre Keith, un entrepreneur dynamique et sûr de lui en apparence. L'entrée de Sam dans la vie de Keith va bouleverser son quotidien.
Considéré comme le 7e art, le cinéma n'aura plus aucun secret pour vous grâce à Filmo Graphique, un album offrant une analyse pointue et réjouissante à travers des thématiques variées et fortes.
Ancienne handicapée, Annie Sullivan éduque une jeune enfant sourde et aveugle. Le destin vrai et exceptionnel de deux femmes marquées par la vie, raconté avec pudeur et talent.
En 79 après J-C., un jeune apprenti peintre et son amie se retrouvent prisonniers de l’éruption du Vésuve. Chronique d’une fin annoncée, magnifiquement racontée et mise en images. Une claque géniale !
Le lycéen Otto se fait embaucher dans un club de la petite ville de Richford et y découvre des nouveaux courants musicaux, le punk et la new wave, tout en se bâtissant une personnalité hors norme, celle du Baron. Un récit drôle et instructif.
Dans les années 60, un policier enquête sur un homicide dans lequel deux blousons noirs auraient pu jouer un rôle. Entre chronique sociale et roman noir, un one-shot rétro dans l'Amérique conservatrice des années 60.
Le quatrième pouvoir est souvent pris pour cible. A tort pour la journaliste Brooke Gladstone, qui se charge de décrypter les médias et de vous éclairer sur certaines zones d'ombre. Un manifeste travaillé et bigrement intéressant.
Angie est une jeune américaine qui n’a de cesse de lutter contre le capitalisme et qui tente de rassembler le plus possible de militants à sa cause. Un récit de vie habile et précieux sur la jeunesse engagée d’aujourd’hui.
Le dramaturge a accumulé toute sa vie prix et récompenses pour ses textes. Seulement voilà, antipathique et asocial, il vieillit seul et peine à trouver sa place dans le monde réel. La chronique âpre mais touchante d’un artiste qui s'éveille à la vie.
Lorsqu'on est un monsieur tout le monde, les petites choses de la vie sont parfois extraordinaires. C'est en tout cas ce que pense Harvey Pekar qui se raconte aux lecteurs durant une première anthologie faisant date.
Jake a du mal à trouver sa place dans la société. Il apprend à vivre en lisant le journal intime de son défunt père, décrivant comment les poulets sont devenus les égaux des hommes. Un récit intimiste riche en émotions.
Employé d'un hôpital, critique de jazz, et auteur de BD, Harvey Pekar raconte son quotidien dans cette seconde anthologie où son caractère pessimiste et déprimant apporte une vision originale de l'Amérique des années 80.
Malgré ses rêves, Lucky, un jeune homme mesurant 1m60, se confronte à la cruelle réalité d'une époque : la seconde guerre mondiale. Première partie d'un diptyque emprunt de nostalgie dans la forme et passionnante dans le fond.
Un système de connexion cérébral qui s'universalise, une doctoresse envoyée en mission dans une station spatiale, un homme qui lutte dans un monde désertique, pour un récit qui soulève bien des questions.
Une société propose à de riches individus de faire revenir des proches qui viennent de mourir grâce à un appareil médical révolutionnaire : le Charon. Un nouveau récit oppressant et bien barré par un coutumier du fait : Dash Shaw.